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Je me suis particulièrement intéressée à Esprit d'hiver de Laura Kasischke comme lectrice mais aussi comme photographe pour des raisons que je vais préciser.

 

Il faut posséder un esprit d'hiver : ce vers de Wallace Stevens donne son titre au roman. Et ce vers résume à lui seul toute l'atmosphère dans laquelle baigne le récit, la tristesse qui en émane, ainsi que cette sensation de malaise insidieux que le talent de l'auteur concrétise par le jardin de Holly. Les roses y sont encapuchonnées pour résister aux rigueurs d'un hiver du Michigan et semblent peu à peu ensevelies sous la neige qui ne cesse de tomber.

 

Oui, Holly, regarde la neige tomber sans discontinuer, la coupant ainsi du monde en ce jour de Noël où elle devrait recevoir parents et amis. Ceux-ci, peu à peu se décommandent, ne pouvant braver la tempête. Même son mari parti chercher ses parents à l'aéroport, ne peut la rejoindre, obligé de conduire sa mère malade à l'hôpital. Holly reste seule avec sa fille adoptive Tatiana. Mais cette journée n'en finit pas de déraper. Pourquoi Tatiana est-elle si hostile à sa mère? Pourquoi sa conduite est-elle aussi étrange? Holly s'interroge et nous livre à travers ces perturbations météorologiques et psychologiques, des bribes de ses souvenirs qui reconstituent toute l'histoire de l'adoption de Tatiana et aussi de son propre passé.

 

Holly perd pied, moi aussi; l'angoisse me gagne, pernicieuse : il y a cet orphelinat sibérien où vivent et meurent des enfants affamés et maltraités. Il y a le désir lancinant éprouvé par Holly d'écrire de la poésie et son impuissance à aligner un mot devant la feuille blanche, métaphore de la stérilité d'Holly qui ne peut enfanter. Et puis cette malédiction qui semble peser sur la famille depuis l'adoption : Quelque chose les avait suivis depuis la Russie jusqu'à chez eux? pense Holly. Et ce quelque chose introduit le malheur dans sa famille. Je me suis laissée glisser dans l'histoire comme dans un grand bain d'eau glacée, complètement prise par cette atmosphère grise, cotonneuse, délétère, ne comprenant pas, comme Holly, ce qui m'arrivait.

 

J'ai été fascinée par la langue de Laura Kasischke qui est belle, très poétique, très douce malgré sa cruauté. J'ai été particulièrement sensible à son style, à sa manière de procéder par petites touches impressionnistes, un peu floues, mais qui finissent par former une image complète, se précisant graduellement devant nos yeux. Dans mon travail photographique, en effet, je m'intéresse aux non-dits, à ce qui se passe sous l'image, au sens caché des choses, aux frontières entre la réalité et son interprétation. Et c'est bien ce que fait Laura Kasischke dans Esprit d'hiver. Elle nous montre un paysage noyé par la neige mais qui en révèle un autre, un paysage intérieur, l'esprit de Holly gagné par la mort de cette saison. L'extérieur renvoie à l'intérieur, une correspondance secrète. Les mots et les faits ont un double sens, les roses ne sont pas des fleurs mais des "petits crânes", le rôti n'est pas de la nourriture mais "une chose morte", le verre cassé renvoie lui aussi à autre chose. Tatiana n'est pas celle que l'on pensait qu'elle était… L'image devient le reflet du reflet, on se laisse tromper par ce jeu de miroir. On ne comprend pas la vérité car elle se dérobe et pourtant, le livre fini, on s'aperçoit que tout est là, que la romancière nous donne tout au long du roman les clefs de compréhension. On ne savait pas ce qui se passait mais on le pressentait ; peut-être qu'on l'avait toujours su mais en refusant l'évidence… tout comme Holly!

Un très beau roman et quelle force dans cette écriture!

 

 

Merci à Price Minister et à Christian Bourgeois éditeur

 

 

Tag(s) : #Lecture en images
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