Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

le phenicien03Nevermore : la mort du désir, la découverte du réel.

 

Qu’est représenté dans cette série de photos de Aurélia Frey ? C’est la première question que l’on se pose lors que nous sommes face à Nevermore. Est-ce un visage ? Est-ce un arbre ? Une peinture ou la réalité ? Il faut s’approcher, regarder de près, changer à plusieurs reprises notre point de vue et, finalement, comprendre que ce qui nous semblait représenté dans un premier instant n’est finalement pas l’objet de la photo. La tâche se fait oiseau, le tissu devient ciel, l’écorce se transforme en visage. Les tableaux, montrés tels que nos yeux pourraient les apercevoir dans un musée mal éclairé, deviennent presque illisibles, nous obligeant à nous détacher du sujet qui y est représenté pour focaliser sur le support.

Henri Poincaré se demandait « comment l’intuition peut-elle nous tromper à ce point? », voici donc l’ambigüité qui se fait art pour nous obliger à remettre en doute nos perceptions et notre connaissance.

Le sujet cesse d’être pour s’immoler à l’état d’objet. Ce n’est plus le visage, la figure ou la peinture qui nous attire, mais plutôt la matière pure. La vision, dans un certain sens pornographique, de l’objet, de la matière symbolise la mort du désir à travers le sacrifice du sujet. A quoi bon donc un art privé de son sujet, presque stérile ?

Essentiellement, son but n’est autre que celui de faire surgir au coeur de notre conscience le problème de la contradiction au sein du réel. Pour paraphraser Schelling, cette suprématie de l’objet sur le sujet représente une Anschauung, une intuition intellectuelle. La confrontation avec l’oeuvre devient donc un « acte transcendant, indéfinissable, au moyen duquel l'intelligence saisit l'absolu dans son identité, c'est-à-dire tel qu'il est en lui-même, au-dessus de toute distinction et de toute différence, et réunissant dans sa nature absolument simple toutes les oppositions et tous les contraires ».

Cette intuition, purement Bergsonienne, nous plonge donc à l’intérieur de l’objet pour nous amener au-delà de l’objet même. Dans les photos où la matière se confond avec l’esprit, on y retrouve donc un devenir radical qui nous permet pour un instant d’oublier notre intérêt pratique, nous élevant à un état supérieur où l’abstraction peut nous dévoiler le sens du réel. Parce que, comme le disait le grand peintre italien Giorgio Morandi, « il n'y a rien de plus abstrait que le réel ».

Santi Oliveri

Tag(s) : #Textes sur série
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :